Cela va faire un peu plus d’un an que le
mouvement contre la loi El Khomri avait commencé. Qu’a donc représenté
cette mobilisation d’ampleur dans la période actuelle ?
Il faut déjà noter que cette
mobilisation est arrivée en fin de mandat pour Hollande, un an avant les
élections. Malgré les nombreuses attaques anti-sociales du gouvernement
PS, aucune mobilisation de masse de la classe ouvrière n’avait réussi à
démarrer avant celle-ci : ANI, pacte de responsabilité, Loi Macron…
Nous n’avions jamais dépassé le stade des fameuses « journée d’action »,
soit des grèves ou manifestations d’un jour d’une incapacité flagrante.
Il est important de noter que jusqu’au mouvement contre cette Loi
Travail, la seule mobilisation « massive » fût la mobilisation
réactionnaire contre le mariage pour tous au début du quinquennat. Cette
mobilisation contre la Loi Travail a donc surpris par l’ampleur et la
vitesse à laquelle elle s’est développée dans un contexte où tout lui
semblait défavorable (Etat d’urgence suite à l’attaque du 13 novembre 2015, élections l’année suivante…).
Ce mouvement a été l’un des plus longs
et plus forts mouvements sociaux en France depuis les années 90. Une
mobilisation qui a duré près de 7 mois avec 14
journées nationales d’action dont 2 qui ont dépassé le million de
manifestants. Niveau répression, il y eut au total en juin 2016 près de
2000 interpellés, plus de 1000 gardes à vue, une centaine de
comparutions immédiates et des centaines de blessés dont des mutilés au
flashball. Aujourd’hui, plusieurs syndiqués et autres militants se font
encore condamnés 7 mois après la fin de la mobilisation. La violence
policière a franchi un nouveau stade. Les manifestations ont été très
combatives avec des affrontements contre la police systématisés via le
phénomène de « cortège de tête » réunissant travailleuses et
travailleurs syndiqués ou non, enfants de prolétaires, autonomes,
marxistes et anarchistes. Ces affrontements étaient dénoncés au sein du
mouvement par les directions syndicales, épaulées par les
social-chauvins (France insoumise, P « C »F,…) et les trotskistes.
L’opportunisme des directions syndicales s’est vu tout le long du
mouvement, mais de l’autre côté parmi les militantes et militants les
plus conscients des erreurs fondamentales ont été faites.
Si la première manifestation avait eu
lieu le 9 mars 2016, l’intersyndicale avait dans un premier temps
programmé la première manifestation pour le 31 mars… soit plus d’un mois
après la médiatisation du projet de loi, et n’a pas immédiatement eu
comme revendication le retrait pur et simple de la loi ! C’est seulement
parce que la base des syndiqués a fait pression que les directions
syndicales ont été contraintes de suivre les revendications de la base.
Donc dès le début, cet écart entre directions syndicales et base des
syndiqués s’est manifesté.
C’est dans cette première période du
mouvement du 9 mars au 31 mars que la jeunesse des quartiers populaires a
été active à travers les blocus de lycées, les manifestations lycéennes
et la participation déterminée aux
manifs des travailleuses et travailleurs. Même face à la répression,
elle ne se laissa pas faire comme on l’a vu avec l’attaque de deux
commissariats à Paris en réaction au coup porté à la tête du jeune Adam
par un flic qui a fait le buzz sur internet. Mais les vacances scolaires
du printemps ont très vite freiné cette dynamique. Alors que la
jeunesse des quartiers populaires s’était mobilisée, les directions
syndicales n’ont pas cherché à inclure les jeunes dans le mouvement.
Sans idéaliser la jeunesse, dans un mouvement social il faut optimiser
et coordonner toutes les forces en jeu, et si les directions syndicales
avaient inclus les jeunes dans le mouvement plutôt que de les regarder
avec méfiance en leur mettant parfois leur service d’ordre à dos, cela
aurait pu être une force importante pour le mouvement, et cela aurait
même pu permettre à la contestation de gagner davantage les lieux
d’habitation des travailleurs que sont les quartiers populaires.
Il aura fallu 3 mois de manifestations
pour qu’enfin les directions syndicales (CGT, SUD) appellent à la grève
illimitée. La stratégie de ne faire que des grèves d’un jour
accompagnées de manifestations pacifiques ne permet pas d’établir un
rapport de force suffisant, au contraire cela a montré une certaine
incapacité à faire plier l’Etat bourgeois. Cela s’est répercuté sur le
mouvement en laissant le champ libre au gouvernement qui a pu utiliser 3
fois le 49-3 sans être inquiété. Pendant ce temps le secrétaire général
de la CGT changea le mort d’ordre du retrait total pour le « retrait de
la colonne vertébrale du projet ». L’appel à la grève pour le dernier
mois avant les vacances d’été avait sonné comme la dernière carte à
jouer de ces syndicats, de gros secteurs comme les raffineries ou
centrales nucléaires se sont mis en grève, mais l’Etat et sa police ont
pu très vite mettre fin aux grèves et aux blocages avec très peu de
résistance au final : faute d’un élargissement, ces grèves et blocages
qui ont pu tenir jusqu’à trois semaines furent insuffisantes.
Une grande manifestation nationale avait
été appelée par les syndicats pour le 14 juin. Il y eut plus d’un
million de manifestantes et manifestants, la mobilisation fut très dynamique
et combative, en réaction l’Etat a répondu par une lourde répression
avec des centaines de blessés, 58 interpellés rien qu’à Paris, les
canons à eau furent utilisés pour la première fois depuis le début du
mouvement à Paris. Le lendemain, Valls suggérait l’interdiction des
prochaines manifs appelés par la CGT. Une manif de la CGT interdite, ça
n’avait pas été fait depuis la guerre d’Algérie, une interdiction de
manif qui avait été bravée et qui a fini par le massacre de Charonne. Ça
donnait le ton. Et alors que la prochaine manif fut maintenue mais sur
un trajet ridiculement court, pas moins de 95 personnes ont été
interpellés avant d’entrer en manif. La simple possession de foulard ou
de lunettes pouvait servir de prétexte pour la police. Un dispositif
policier extraordinaire fut mis en place avec plus de 2000 flics
éparpillés autour du lieu de rendez-vous, ce qui faisait que la plupart
des personnes se faisaient contrôler au moins 2 ou 3 fois avant de
pouvoir rejoindre la manifestation. Ce fut à peu près la même chose pour
les deux dernières manifestations sur Paris.
Cette répression serait la cause du
comportement des « casseurs » ? Si les directions syndicales sont toutes
réformistes (avec bien entendu des différences, le syndicat jaune CFDT
n’étant pas la CGT) et freinent la lutte comme on a pu le voir, les
militantes et militants qui se focalisent uniquement sur la violence
causent aussi préjudice. Ca n’est pas lors d’une manifestation qu’une
insurrection arrivera spontanément. La violence exercée sur les cibles
reconnues comme ennemies par les masses est certes un élément essentiel
pour propager l’idée qu’il ne faut pas rester dans le cadre légal pour
obtenir des victoires, pour habituer les masses à la confrontation. Mais
la violence doit toujours se faire en lien avec les masses car ce sont
les masses qui font la révolution. L’idée au début d’utiliser la culture
populaire pour faire des slogans afin d’attirer des jeunes des
quartiers populaires était bonne mais des slogans seuls ne peuvent
attirer dans la durée et organiser. A côté de la confrontation, il y a
tout un travail politique prolongé à faire au près des masses populaires
de sensibilisation aux idées révolutionnaires, d’organisation.
Que l’on se fasse bien comprendre :
c’est la ligne de base de tout Parti Communiste authentique que de
reconnaître et d’appliquer le principe de la violence révolutionnaire.
Depuis notre création et tout au long de
la lutte contre la loi Travail, nous n’avons cessé de le répéter et de
le montrer par notre pratique. Mais la violence seule ne suffit pas.
Sans processus de lutte prolongée, sans développement de cadres de lutte
durables, sans chercher à tisser des liens toujours plus nombreux et
profonds dans les masses, rien ne bougera et les seules évolutions que
nous pourrons observer seront quantitatives et non qualitatives : sans
stratégie révolutionnaire concrète, le plus gros cortège de tête ne
changera jamais rien. Ayant dit cela, il faut tout de même réaffirmer
l’aspect positif de la violence qui s’est exprimée lors de cette lutte.
Ce mouvement a fait peur à la bourgeoisie car il portait en lui une
radicalité pas observée depuis longtemps. Il faut d’ailleurs voir les
récents blocages de lycées contre les violences policières comme un
héritage extrêmement positif de la lutte contre la loi Travail.
Là où beaucoup de choses se sont
passées, et peut être plus encore que dans les cortèges de tête, c’est
sur les blocages. Les expériences ont été très diverses. Les plus
intéressantes sont celles où l’unité à la base s’est réalisée, c’est à
dire où localement, dans leur diversité d’expériences de lutte,
d’horizons politiques, les masses se sont unies autour d’un noyau
déterminé à donner une expression radicale au mouvement. Les blocages
ont été l’expression de la force de la classe ouvrière : tout tourne
grâce à notre force de travail et nous pouvons le démontrer. C’est
principalement dans les régions que les blocages ont été importants,
relativement peu en région parisienne. Nous avons vu sur les blocages
les positions évoluer, les illusions tomber et la solidarité se
développer, principalement face à la répression. Plusieurs centaines de
grévistes entamer l’Internationale devant un tribunal qui juge un
Camarade emprisonné, c’est peut être symbolique pour certains mais ça
veut dire beaucoup pour celles et ceux présents (surtout pour le
Camarade en tôle!). L’unité à la base s’est donc réalisée dans ce
mouvement, toujours trop partiellement, mais cela a été une leçon de
lutte pour toutes celles et ceux qui s’y sont impliqué et qui ont pu la
vivre.
Cette lutte a eu la particularité d’être
une « demi-défaite » dans le sens où d’un côté la loi n’a pas été
retirée mais où ce n’est pas l’abattement qui ressort de la
lutte (comme ça avait pu être le cas après la lutte pour les retraites
en 2010…) mais plutôt une énergie renouvelée, de nouveaux liens créés et
une solidarité plus importante pour l’aile révolutionnaire du mouvement
qui a permis par exemple sur les réseaux sociaux d’appeler à des blocus
de lycées pour Théo ou encore que l’idée du boycott des élections
présidentielles se propagent, une idée partagée par une importante
partie des travailleurs qui ont dénoncé la tentative de récupération de
politiciens pendant le mouvement et qui se concrétise aujourd’hui par
exemple par l’appel d’un « 1er tour social » appelé par de nombreux
syndicalistes pour prendre la rue face aux élections. L’idée de
résistance et de possibilité d’affrontement direct avec l’État se sont
développées, malgré la sévère répression. Il faut également noter que ce
mouvement a permis de rompre avec le climat de montée du fascisme en
faisant contre-poids avec l’acharnement habituel des médias concernant
les musulmans, l’immigration, les banlieues, etc.
La contradiction entre le prolétariat et
la bourgeoisie dans l’Etat français s’aiguise de plus en plus. Le
mouvement contre la loi Travail s’est déroulé dans un cadre particulier
qui a été celui d’un gouvernement « socialiste » qui a mis en place un
état d’urgence officieusement permanent. Un cadre où la montée du
fascisme a été telle que pour les élections présidentielles de 2017
l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen apparaît comme une possibilité, où
l’appareil policier s’est sans cesse renforcé et continue à se
renforcer en transformant par exemple la légitime défense de la police
en un permis de tuer, où trois révoltes ont eu lieu en moins d’un an en
réaction à l’assassinat de M.Shaoyo Liu, d’Adama et au viol de Théo par
la police, où des mesures qui s’inscrivent clairement dans la montée du
fascisme ont été prises comme la création d’un fichier national
regroupant les données de tous les citoyens ou un décret du gouvernement
qui provoque l’indignation de la plus haute juridiction française
elle-même concernant son indépendance, où la sanglante guerre de pillage
de l’Etat français continue en Syrie et où la répression des migrants
se renforce. En tant que communistes et révolutionnaires, nous devons
plus que jamais prendre nos responsabilités en travaillant à se lier
étroitement aux masses, à créer des organisations de combat pour les
masses et la classe ouvrière afin d’établir un front antifasciste
solide, de rendre la résistance des travailleuses et travailleurs plus
efficace, de permettre de nouveaux acquis sociaux et de préparer le
terrain au renversement de l’Etat bourgeois et à la mise en place du
pouvoir prolétarien.
Vive la lutte des travailleuses et travailleurs !
Partons du positif et dépassons le négatif pour la victoire !
Tout le pouvoir à la classe ouvrière !